Jean-Pierre Dall'Anese

 

Dans l'oeuvre de Dall'Anese, l'espace sculpte le temps, la matière impassible s'ouvre à la mémoire vibrante de l'homme, à la fragilité de sa chair. Contempler une de ces sculptures, c'est vivre, dans la fulgurance de l'instant, la fusion du sujet et de l'objet, du passé et du futur, de l'homme et du monde -à jamais présents l'un à l'autre.


Au regard qui les embrasse, dans l'élan de la découverte, ces oeuvres nous propulsent dans un jaillissement créateur. Stèles, portes, colonnes ou chapitaux ; cercles, disques ou croissants ces structures érigées, ces formes accomplies nous disent l'expansion infinie du devenir humain. Au coeur de ces réalisations, des pièces de fer forgé, de laiton oxydé, de bronze martelé ; venus d'un temps immémorial, du temps des origines, ce sont éclats de notre grande mémoire collective et rien, jamais, n'entamera leur belle éternité mythique.

Pourtant, dans un jeu complexe d'encastrement et d'inclusion, d'assemblage et d'empilement, d'autres matières s'imposent et s'emploient à miner l'orgueilleuse prétention de ces blocs puissants, pour témoigner du temps fragile des choses et des chairs. Alors la blondeur d'un bois raviné offre ses fines stries à la douceur de soie vestiges orphelins de charpentes, bois flottés, ballottés par les eaux, planches disjointes aux rebords doucement effrangés. Et l'on devine, ici ou là, au renflement léger de tenons ou de clous qui les habitent encore, au cercle inégal qui les découpe, aux agrafages et rapiéçages, l'empreinte d'une lointaine instrumentalité. Parfois, c'est un inextricable enchevêtrement de vis, de pointes, et de boulons ; de gonds, de tiges et de charnières, qui fait éclater la tendresse du bois. Mais tordus, arrondis, érodés et ternis sous l'ocre de la rouille, ces outils ont perdu leur rudesse ; débonnaires et désoeuvrés, ils attestent de l'émoussement progressif de toute hostilité.


E
ternité de l'éphémère, force de la fragilité, noblesse de l'usure, les sculptures de Jean-Pierre Dall'Anese nous font l'offrande de ce que le poète René Char nomme forme accomplie de l'art "la matière-émotion".

Joëlle Pagès-Pindon